dimanche 24 mars 2013

Petrels - Onkalo


 Date de sortie : 22 mars 2013 | Label : Denovali Records

Le précédent et premier album de Petrels, Haeligewiele, résonne encore assez clairement dans nos souvenirs pour accueillir le petit nouveau, Onkalo, les bras grands ouverts. A sa sortie, il avait été difficile de résister à cette ambient-mais-pas-que extrêmement détaillée qui nous prenait par la main pour nous emmener directement au fond de l'océan, dans l'obscurité absolue et le froid le plus enveloppant. Que l'on se rassure, Onkalo propose plus ou moins le même voyage mais poursuit cette fois-ci une muse plus humaine, non moins troublante et inquiétante. Onkalo donc, du nom de ce projet finlandais schématisé sur la pochette, initié dans les années 70 visant à creuser dans le granit, à plusieurs centaines de mètres sous la terre, des kilomètres et des kilomètres de galeries pour y enfouir les déchets nucléaires de manière à ce qu'ils s'y consument au moins 100 000 ans à l'abri de toute forme de vie mais aussi des regards et des opinions contraires. Car lorsque les galeries seront pleines, aux environs de 2100, il est prévu de les sceller avec la ferme intention de ne surtout pas oublier de les oublier. Un projet qui suscite de l'inquiétude et des interrogations infinies (quid des générations futures, qu'en feront-elles ?) et offre un terreau parfait pour que puissent y pousser les drones tendus de Petrels. Plus que jamais, sa musique évoque les galeries souterraines de granit froid et gris, l'enfermement et aussi, très paradoxalement, l'antre de quelque chose de beaucoup plus doux et chaud, un cocon par exemple. Majestueuse, solennelle, souvent magnifique, son ambient enveloppe les synapses et le corps tout entier durant soixante-quatorze minutes au terme desquelles on a bien du mal à trouver la moindre porte de sortie. Car il y a de quoi y fureter un bout de temps, à tout détailler ou à se laisser porter par les ambiances majoritairement inquiètes, voire même à essayer de comprendre comment Oliver Barrett réussit à développer un si confortable inconfort.


On aime la valse des électrons au début du superbe Gulio's Throat mais l'on aime aussi les soixante secondes d'acouphène qui viennent mettre un terme aux vingt minutes de Characterisation Level et pourtant, les uns ensorcellent quand les autres indisposent. Mais on apprécie tout autant. Partout ailleurs, ce sont surtout les nappes et les cordes que l'on suit, à commencer par celles d'un Kindertransport final qui puise son inspiration dans le folklore européen et emprunte son nom à l'opération organisée par la Grande-Bretagne quelques mois avant la seconde guerre mondiale qui permit de placer près de 10 000 enfants principalement juifs d'Allemagne, d'Autriche ou de Tchécoslovaquie dans des familles d'accueil anglaises ou des pensions. Un hommage qui captive tout du long et qui sait surtout ne pas en faire trop là où un tel sujet pouvait faire craindre des cordes pleurnichardes qui imposent une émotion. Une émotion au contraire ici simplement suggérée. Un peu avant, le jeu rythmique et les cordes distordues des deux parties de Trim Tab auront, elles aussi, fait merveille dans un registre légèrement plus rustre. Et on aurait tôt fait de détailler tous les morceaux d’un disque dont on regrette parfois qu’il ne montre pas plus ses crocs. Toutefois, à son écoute, on sent bien à quel point tout ceci n’est pas qu’un simple ronronnement conventionnel et romantique, certes joli mais légèrement vain. Il se dégage une vraie force d’Onkalo car le projet, avant tout, a une âme et montre une belle subtilité que l’on a simplement un peu  peur de dénaturer avec des mots. On pouvait également craindre un pensum boursouflé à la lecture des titres qui le constituent mais là aussi, il n’en est rien. Point de départ de compositions qui arpentent les pistes d’une ambient synthétique et organique qui ne cherche pas à démontrer, les événements et situations dont elles s’inspirent sont livrés tels quels, bruts et sans préjugés ni parti pris, à l'auditeur d'y mettre ce qu'il pense.


Petrels poursuit la voie de la mise en sons d’émotions brutes, celles d'Oliver Barrett. Sa musique n’est qu’une traduction abstraite du monde qui l’entoure. Dès lors, malgré la gravité des sujets traités, pas de nappes désespérées, pas de visions sombres et jusqu’au-boutistes, pas de mise en garde donc, juste des interrogations, des sentiments contradictoires traduits en notes éparses, en textures variées et riches. Onkalo passe vite et n’ennuie jamais, il provoque également l'envie d'y revenir souvent, une envie pas toujours évidente à trouver dans les disques d’ambient. Sans doute parce Petrels œuvre dans autre chose de plus diffus que l'on a bien du mal à définir : de l'ambient certes mais aussi un soupçon de post-rock, des bribes de classique et d'électronique, des chœurs curieux, un peu de ci, des poussières de ça, des fragments de tout modelés précisément pour que surgissent un panel d'émotions qui accaparent toute l'attention. Belle musique qui n’a pas peur d’exposer un peu de matière grise de-ci de-là au cœur d’une architecture qui privilégie partout ailleurs le pouvoir évocateur des images mentales qu’elle suscite. Il ne s’agit pas que de ressentir, les thèmes sont ici utilisés pour donner un peu plus de substance aux scènes fugaces qui prennent corps derrière les yeux. C'est bien ça qui donne toute leur profondeur aux drones vaporeux sur lesquels s'érige chaque pièce, éloignant pour de bon la tentation du simple papier peint sonore, aussi joli soit-il. Onkalo n'est pas moins qu'une œuvre cohérente que l'on s'approprie sans difficulté et que l'on suit, bien content de traîner à ses côtés pour voir simplement où nous mènera l'errance : au cœur du granit, sous terre, plus tard dans une tentative de communication avec l'avenir, bien avant, partout, tout le temps.


Encore une fois, Petrels fait mouche. En s'inspirant du feu nucléaire, il revêt les atours les plus retors de la radioactivité : invisible, inodore, elle attaque pourtant en profondeur. 


Beau.




leoluce

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